Le signe entre la culture et le moi (Texte de F.S.)

LE SIGNE ENTRE LA CULTURE ET LE MOI : L’ŒUVRE DE LYS MATISSE
FRANCOIS SPERANZA

Du 19 – 05 au 05 – 06 – 16, l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35, 1050 Bruxelles), a le plaisir de vous présenter une exposition consacrée à l’œuvre de la dessinatrice et graveuse belge, Madame LYS MATISSE, intitulée : TRACES D’EVIDENCES.
Cela semble, en apparence, anodin mais au titre initial qualifiant son œuvre, LYS MATISSE a ajouté une précision qui semble sonner comme une « appellation d’origine contrôlée », à savoir : BIC. Au même titre que « huile » ou « acrylique », définissant ainsi sa technique. A l’instar du pinceau, le bic devient l’instrument à travers lequel l’artiste s’exprime. Sans doute, est-ce aussi – peut-être inconsciemment – sa signature qu’elle ajoute, entre parenthèses, à côté du titre initial.
Et la chose ne laisse pas le visiteur indifférent tant la surprise que distille son œuvre est grande ! En effet, ce qui impressionne à la vue de ses dessins, c’est à la fois la surprenante finesse de sa technique ainsi que l’univers dans lequel elle évolue. Techniquement abordé, le contraste savamment dosé, entre le noir et blanc (tous deux en de multiples dégradés), relâche un sentiment oscillant entre le calme et l’épouvante : « fantastique » serait sans doute le qualificatif le plus adéquat. La finesse du trait, réalisée au bic, rappelle à s’y méprendre la pointe aiguisée du pinceau. Particulièrement dans l’exécution des filaments et circonvolutions identifiant la nature de ses décors.
« Burnout » définit parfaitement ce contraste entre le noir et le blanc (dont nous parlions plus haut), dynamisant le rendu du clair-obscur. L’ombre et la lumière confèrent à la fois la dynamique du mouvement ainsi que ce que l’on nomme en Psychologie, le phénomène d’« aperception », c’est-à-dire ce que la culture acquise et l’imaginaire créateur imprègnent, par le biais du cerveau, sur notre rétine. A titre d’exemple, à la vue de nuages, nous pouvons imaginer (peut-être ferions-nous mieux de dire « créer ») des formes qui nous sont familières. Cela traduit parfaitement la démarche de l’artiste à se référer à la culture dans ses nombreuses subtilités. Mais qui dit « culture » dit aussi « mémoire » ancestrale, souvent enfouie sous des tonnes de vécu, lesquelles finissent souvent par remonter à la surface et affleurer ce champ de partage commun à l’humanité qu’est le terrain de l’expérience créatrice.
Et ce « champ », commun à tous, appartient à l’« onirique ». Ainsi, est-il fréquent de rencontrer chez notre artiste, au détour d’une ombre, des formes sorties de nos peurs abyssales, telles que des visages à l’aspect « démoniaques », issus en droite ligne de nos mythes rendus tangibles, notamment, par l’intermédiaire de la gravure (pensez à Gustave Doré), de la littérature et du cinéma fantastiques.  BURNOUT est une illustration parfaite de ce processus : remarquez, à gauche comme à droite de la composition, ces deux visages sortis d’un cauchemar. Concernant la conception de la forme, deux univers s’entrechoquent :
1)    celui de la femme allongée, présentée deux fois à l’avant-plan (à gauche, fixant le visiteur ainsi qu’à droite, campée de dos et volontairement moins perceptible au regard qui ne peut que la deviner).
2)    Un monde formel composé exclusivement de pleins et de creux ainsi que de matière à la fois filandreuse et minérale, destiné à donner corps à cette fable menaçante.
La seule forme se raccrochant à ce qu’il est convenu d’appeler la « réalité » est la femme présentée dans sa vérité anatomique. Néanmoins, l’artiste nous fait comprendre qu’à travers les filaments de sa longue chevelure se mêlant aux circonvolutions du décor, celle-ci fait partie intégrante de cet univers fantastique. Elle ne s’en échappe pas. Deux plages serrées, créées à partir du blanc total, vers le haut, confèrent deux puits de lumière, décisifs à la dynamique du mouvement. Nous sommes à l’intersection entre la bande dessinée fantastique et la gravure de la fin du 19ème siècle. Gustave Doré (cité plus haut) n’est pas un hasard. L’on retrouve une atmosphère étouffante laquelle n’est pas sans rappeler celle de l’« Enfer » de Dante. Par « culture » nous évoquions, plus haut, tout ce que la mémoire a conservé depuis des millénaires. A l’observation attentive du décor dans lequel se déroule la scène, il ne vous échappera pas qu’il s’agit d’une grotte. Or, la grotte est aussi l’allégorie de la « caverne » de Platon, dans laquelle le personnage féminin est enfermé, l’empêchant d’accéder à la réalité objective du Monde. Rappelons que la femme a le regard braqué vers le visiteur, l’invitant, pour ainsi dire, à s’interroger sur ce phénomène culturel actuel n’épargnant personne qu’est le « burnout », phénomène dans lequel le visiteur lui-même est susceptible de tomber.
A nouveau, l’artiste interroge notre culture occidentale dans ses facettes, à la fois sociologiques, plastiques et psychologiques. La femme, représentée comme entité, tant à gauche qu’à droite, se révèle être l’endroit et le revers d’une même médaille.
Et cette médaille, c’est l’artiste elle-même, qui se représente à la fois en souffrance tout en cherchant la possibilité d’une issue. Remarquons, à ce titre, que son alter ego représenté sur la gauche, est baignée de lumière. Celui de droite, au contraire, la représente en souffrance, écrasée par une forme massive rappelant la patte d’un animal puissant.

La fontaine des médisances est avant tout un cri d’alarme adressé au Monde. Aux conséquences qu’un message malveillant peut engendrer. Remarquez la maîtrise avec laquelle l’élément aquatique ondule et se tord dans une série d’entrelacs réalisés par la seule pointe du bic. Très intéressants sont également les divers degrés que l’artiste apporte au noir sur toute la composition.
« La fontaine des médisances » représente un masque hideux surmonté d’un serpent, vomissant un flot de mots qui se perdent dans une eau stagnante, pour aller pourrir dans le bas de la composition. Ces mots sont, en réalité, les messages de nature mortifère qui circulent sur le Net, dont l’impact peut aller jusqu’à tuer : pensez au phénomène du « harcèlement » chez les jeunes avec, dans bien des cas, le suicide au bout de la ligne. Autre référence à la culture : ce masque vomissant des mots, est en réalité, une transposition contemporaine de la boîte de Pandore, dont le débit des mots se perd à tous vents. Dans ce cas-ci, ils stagnent dans une eau nauséabonde. De petites boules pointues sont vomies de la gueule du masque. Certaines d’entre elles sont rattachées par un restant de chaîne avant de sombrer dans l’eau putride. Même ici, l’artiste ne peut s’empêcher de faire un clin d’œil à la culture, en concevant les boules comportant des yeux, ramassées au fond de l’eau, à l’image des « émoticônes » que l’on trouve dans les options des ordinateurs. Deux clés de Sol, vers le milieu de l’espace, s’enfoncent dans l’eau. A peine sont-elles immergées, qu’elles se corrodent et commencent à se décomposer. Il doit y avoir probablement une « zone » dans l’inconscient collectif des artistes, à travers les siècles, qui fait qu’une symbolique du « haut » et du « bas » a dû se forger au contact du ciel et de la terre, ces deux mondes parfois hostiles, parfois consubstantiels, jusqu’à concevoir un mariage mystique. Néanmoins, à de multiples reprises, au fil des âges, l’univers du « bas » devient, d’un point de vue allégorique, une sorte de dépotoir dans le fond duquel pourrit la matière impure. Cela est un trait culturel qui se retrouve depuis l’Antiquité classique et proche-orientale jusqu’à aujourd’hui dans la pensée occidentale, formée par un manichéisme drastique entre le « bien » et le « mal » (bien que fortement relativisé depuis l’avènement de la psychanalyse) dont nous retrouvons, au fil de l’Art, les résidus.
Sur sept tableaux de petites dimensions, dont la lecture va de gauche à droite, l’artiste traduit la sensation de l’occultation de l’espace vital, causée par la disparition d’un être cher, en l’occurrence, son mari. L’image, est à chaque fois, occultée par un long rectangle blanc, empêchant le regard d’avoir une vue d’ensemble de ce qu’il est censé percevoir (ce qui n’est pas sans rappeler l’image de la femme prisonnière de la « grotte-caverne » de BURNOUT dans l’impossibilité d’aboutir à la réalité lumineuse du Monde).
A chaque tableau, présentant une variation sur le même thème, le rectangle s’amenuise jusqu’à laisser entrevoir la possibilité d’une vue totale. Remarquons que chacun des tableaux comporte, vers le haut à gauche, un puits de lumière, toujours à l’instar de BURNOUT. Ces éléments indiquent la possibilité d’un sauvetage moral dans les retrouvailles progressives de l’espace vital laissé par le vide à la fois physique et affectif. C’est dans un jeu subtil de courbes et d’entrelacs finement ciselés que se structurent les gravures. Et, aux dires de l’artiste, ce subtil jeu de courbes et d’entrelacs, représente une matière sensible qui s’apparente à sa peau, conçue comme une chaire vive qui aspire à se cicatriser. La référence culturelle revient en force avec une opposition extrêmement intéressante dans l’utilisation de la couleur blanche qui symbolise le vide mais aussi la mythique « page blanche » qui contrairement à ce que pensent un certain nombre de béotiens, n’est pas une image du « vide » à proprement parler mais bien, comme l’affirmait Gilles Deleuze, le réceptacle de toutes nos angoisses à franchir et à surmonter. Le chiffre sept n’est pas non plus un hasard car il correspond au chiffre préféré de la fille de l’artiste. Mais, ici, nous revenons encore à la culture : le chiffre sept est chargé d’une immense symbolique. C’est le chiffre considéré comme parfait. Différentes cultures l’ont adopté tant dans le domaine scientifique que magico-religieux.
LYS MATISSE qui nous donne une image sans subterfuges d’elle-même, est titulaire d’un Régendat en Arts Plastiques.
Elle s’exprime avec son instrument de prédilection : le bic ! Et le résultat est simplement magistral ! Rarement une si grande finesse d’exécution a été atteinte !
Le bic a ceci de particulier qu’il est fait pour écrire. Il y a donc chez l’artiste, une volonté de coucher sur papier tout ce qu’elle voudrait nous dire. A ce titre, elle se fait un devoir de répondre au proverbe : « dire ou se taire ! ». Donc, elle dit, elle dessine, elle écrit. Toujours au diapason (conscient ou non) avec le vocabulaire laissé par ses références culturelles. Bien sûr, chaque artiste de toute époque, à peint, écrit, composé ou sculpté au diapason de la culture de son temps, soit pour l’encenser ou la combattre. Néanmoins, avec cette artiste, la culture en tant que référent sémantique est présente dans chacune de ses œuvres et ce jusque dans l’ajout qu’elle apporte au titre de son exposition !
Un dernier exemple pour la route ? A l’instar du mot « Frigo » dont le nom véritable est « frigidaire », « Bic », passé depuis des lustres dans le langage courant, n’est autre qu’une marque de « stylos à bille » ! Mais qu’à cela ne tienne !

LYS MATISSE fait entrer le BIC dans le vaste répertoire de la palette par la voie royale en lui conférant ses lettres de noblesse !

François Speranza historien et critique d’art du site Arts et Lettres.
Site Arts et lettres : http://artsrtlettres.ning.com/

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