Elle parle à l’oreille de l’arbre

« Je crois que j’;ai entendu du bruit sous le lit ». C’est elle, féline,
souple. L’animal à la peau lisse se glisse entre mes mollets
blancs, doucement, dans un mouvement de danse sinueuse. Un
rappel de l’alliance intime, infime qui nous appartient. Je ne sors
que le soir, dans le noir, comme elle. Elle me parle dans son
jargon que je suis seule à comprendre. Je quitte ce lit qui abrite
mon insomnie chronique pour la suivre à pas lents dans l’escalier
à peine éclairé. L’homme de ma vie est en voyage, je suis seule
avec elle et cette solitude renforce notre cheminement
émotionnel. Au bas de l’escalier, les pensées m’assaillent. J’erre
chaque journée au cœur de la maison, j’avance en vague, je
divague et m’écoute respirer. Je ne fais rien de ce que je devrais.
La poussière siège sur les meubles, dans tous les interstices. Elle
me nargue sans succès. Le linge dégringole du fauteuil, des
mannes, du porte-manteau, tout git au mauvais endroit. Il y a peu
de vaisselle, je n’ai pas d’appétit. Les paroles inutiles m’ont
rendue muette et impénétrable aux discours humains. Leurs mots
soufflés meurent à l’entrée de mes oreilles. Franchissant les
marches d’un escalier déglingué, je glisse, ronde, emmitouflée
dans un peignoir râpé. Le jardin est éteint, au loin rugit un train qui
trimballe des ferrailles. Rien d’autre ne bouge. Je rejoins mon
pommier, joyaux qui veille à toute heure sur les gestes que je
glisse, çà et là, sur le papier, dans l’atelier. Mes traces noires,
mes transports d’espoir sont les témoins d’;un monde qui s’étiole.
J’avance, la lumière me guide, celle de la lune, pleine, contraste
du sombre de la nuit. Elle inonde mon chemin. Enfin, à nouveau,
le silence se manifeste. La féline me devance, devine mes
intentions, s’étire, s’allonge pour pouvoir mieux s’accrocher de ses
petites griffes au corps de l’arbre. Le rituel nous lie, la rencontre
nocturne scande le temps qui passe. La peau de ma Sphynx
s’apparente à la mienne, rosée, plissée, agréable au touché. Son
regard bleu cristallisé d’argent se plante au creux de mes yeux
avec insistance. Les humains aiment à penser que certains sont
liés aux chiens et d’autres aux chats. Je pense qu’il n’en est rien,
les êtres sont proches d’autres humains, animaux et même
plantes sans critères répertoriés. Tout ce qui mène au classement
emprisonne. C’est début du printemps que mon arbre préféré a

commencé à mourir. La moitié de ses branches s’est vidée de ses
feuilles, l’écorce en lèpre a jonché le sol. Mon protecteur souffrait
sous mes yeux. J’ignorais que le gui qui avait élu domicile sur ses
branches le tuait à petit feu. Je m’en mords les doigts tous les
jours, je me ronge les sangs à le voir dépérir. Le chat s’en
grignote la queue. Mon bel arbre, il n’en reste que la moitié. Pour
être positive et me bercer d’illusions je m’efforce de le voir à
moitié vivant. Il n’est plus tout jeune mais je ne peux me résoudre
à le voir partir. Il n’est jamais l’heure de se séparer et de se
retrouver orphelin, orpheline de ce qui nous stabilise et nous
submerge d’ondes positives. Je lui caresse le dessous de
l’écorce, là, juste là où la croûte superficielle s’est détachée pour
le protéger de sa mue de vieillesse et le couvrir de tendresse. Je
me colle à lui, chaque jour, pas trop fort, la rugosité de l’ancêtre
pourrait me blesser. De ma voix adoucie, je le complimente,
l’encourage, lui insuffle mon amour, mon respect, mon besoin de
lui. De toutes mes forces, je lui transmets mon énergie, cou tendu
vers sa cime, bras serrés autour de lui, j’en tressaille. Son tronc
large est puissant, ses racines sont profondément ancrées dans
le sol de ma petite parcelle de terre. Le moment est furtif, les
voisins pourraient l’entrevoir. Nous avons besoin de vivre seules
les confidences à l’oreille de l’arbre. L’obscurité nous protège, elle
drape un manteau qui feutre les pas, emballe les gestes et couvre
les mots : »Je t’aime mon bel arbre, mon partenaire, reste avec
nous. Ta force me porte, ta présence me rassure, oh, père nature.
Puisse mon étreinte insuffler à ton cœur, à ton corps, un influx
suffisamment puissant pour te garder « . Notre échange
cérémoniel entremêle mes questions existentielles. La chatte, ma
merveille, me confesse sa tendresse. Son ronronnement suspend
l’espace-temps, elle glisse les pattes sur l’herbe humide et bientôt
n’y tenant plus, de cris aigus, m’invite à rejoindre le nid.
Depuis peu de temps, il me semble, enfin je crois avoir bien
observé que mon pommier adoré met au monde sur le haut de
son tronc, des petites branches garnies de jeunes feuilles. Je
n’ose pas m’en réjouir peut-être est-ce le fruit de mon imagination.
A force de désir, on peut glisser un voile rêveur entre soi et la
réalité. Un frisson me grimpe dans le dos, le ciel s’est étoilé d’une
multitude de petits yeux brillants semblant désordonnés, ils
constellent mes rêves éveillés. Ma chatte trottine déterminée vers

la maison, je la suis pour retrouver notre chaud refuge. La porte
restée ouverte a laissé entrer la fraîcheur du soir. Il est tard, je
respire calmement. Apaisée, je m’affale dans mon fauteuil la
Sphynx enroulée sur les genoux.
Mes pensées flottent, l’absence de mon homme me tiraille. La
déferlante de l’inattendue tempête
Mon enfermement interne à mis en berne nos ébats, nos
envolées émotionnelles.
Notre relation amoureuse a finalement rendu l’âme dans notre
univers noyé de silence.
Nous avons perdu des mailles, nos liens détricotés,
imperceptiblement nous laisse aujourd’hui meurtris. Nos valses
amoureuses frappées de claques se cognent au mur de
l’incompréhension. De ma bulle hermétique je l’ai vu s’éloigner, à
petits pas, pour ne pas déranger laissant sur un morceau de
papier, ces quelques mots : « Je t’aime, je suis isolé à tes côtés et,
c’est pour ça que je pars à New York »

Lysiane

NOVEMBRE 2019
5809 Caractères mots et espaces

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